Aujourd’hui, la majorité des insultes découlent de schémas socio-culturels qui sont ceux d’oppressions systémiques, et bien évidemment, la psychophobie ne fait pas exception à la règle. Ces injures visent les capacités intellectuelles, cognitives et psychologiques qui sortent de la norme psychique établie. Celles-ci participent à ancrer dans l’inconscient collectif qu’être handicapé-e psychique / cognitif-ve / mental-e est négatif, que cela nous place dans une position d’infériorité vis-à-vis du reste de la population. En effet, si notre condition sert d’insulte c’est bien parce que cela est perçu de manière péjorative. De par l’utilisation de ces insultes on crée une échelle de valeur, une frontière entre les handicapé-es psychiques et les autres. Et même si l’on croit sincèrement ne pas avoir pour but de dénigrer les personnes concernées par les insultes en question, inconsciemment, et par répétition, le lien se crée : être handicapé-e psychique, c’est mauvais.
Beaucoup de ces mots font aussi référence au « niveau intellectuel » via le QI (nous ferons à ce propos très prochainement un texte critique sur le HQI et sur la notion de QI en général). Ce sont là des conceptions eugénistes et élitistes. De plus, ces conceptions sont par ailleurs racistes et rattachées à l’histoire coloniale, en effet les catégories de niveau intellectuel ont été un outil de domination durant la colonisation. La prétendue démonstration de l’infériorité intellectuelle des colonisé-es a servi de justification à la colonisation. Vous pouvez poursuivre cette réflexion à ce sujet en vous penchant sur le travail de Delphine Peiretti-Courtis, spécialiste de l’histoire de la race, du genre et de la médecine coloniale (ici un entretien avec Libération : https://www.liberation.fr/…/les-corps-noirs-dans-l…/ [CW : Photographie d’examen médical anthropométrique].
Rappelons que l’histoire de l’eugénisme et celle du racisme scientifique se croisent, si ce n’est se nourrissent et évoluent concomitamment. L’un des premiers à vouloir mettre en place un test mesurant l’intelligence fut une des figures majeures de l’eugénisme, Francis Galton, cousin de Darwin. Il s’intéressa entre autres à l’hérédité, et notamment à celle des capacités humaines, dans le but « d’améliorer » l’espèce humaine. Il s’est d’ailleurs attaché à comparer le QI des Anglais à celui des « Africains » (sans faire de distinction entre les différents pays et différentes ethnies, en pensant l’Africain de manière générique). Il pensait pouvoir mesurer l’intelligence de par la mesure de la boîte crânienne. Bien évidemment, au vu des études actuelles, il a été démontré que ses résultats étaient faux, et même si son test de QI n’est pas utilisé, il a tout de même servi à l’élaboration de ceux actuellement proposés.
Le caractère raciste de certaines insultes pour démontrer l’infériorité intellectuelle de quelqu’un est parfois explicite. Un synonyme couramment utilisé pour désigner une personne trisomique est “mongol”, c’est une insulte qui est donc à la fois psychophobe mais également raciste.
Nous avons pu voir le caractère intersectionnel de certaines insultes quand elles ont trait à l’intelligence. Certaines insultes ont également un caractère sexiste et misogyne. Ce qu’on oublie souvent de prendre en considération aussi, c’est la manière dont les personnes handicapées psychiques sont souvent discréditées au travers d’une insulte oppressive à caractère sexiste. Par exemple lorsqu’une femme est traitée de folle pour discréditer sa parole, nous avons souvent le regret de constater que certaines camarades féministes relèvent le caractére sexiste d’une injure sans désamorcer le caractère psychophobe de celle-ci. Nous regrettons de voir régulièrement une camarade féministe monter au créneau pour dire que non, elle n’est pas folle, qu’on traite toujours les femmes de folles ou d’hystériques mais sans mentionner que le fait qu’elle soit folle ou non n’entre pas en ligne de compte, et que surtout “folle” et “hystérique” sont des insultes psychophobes (alors qu’elles ne devraient pas en être). Ce n’est pas parce que l’on est fol que l’on ne peut pas raisonner logiquement, dire la vérité ou avoir une opinion construite.
Le terme handicapé mental est lui-même employé comme insulte. On rappellera qu’être handicapé-e veut dire avoir des capacités qui sortent des normes corporelles et/ou sensorielles et/ou mentales autour desquelles la société est construite. Cela signifie également subir une oppression, des discriminations et une exclusion de ce fait. Rien d’insultant donc, et ce n’est pas un synonyme d’être globalement incapable de tout. Nous sommes handicapé-es : cela n’est pas une raison pour nous invalider systématiquement.
De plus, ces termes sont trop souvent utilisés de manière erronée, et ne reflètent pas la réalité du handicap ou du trouble en question. Ces termes se contentent de renforcer les stéréotypes déjà bien présents à l’égard de toutes ces personnes porteuses dudit handicap/trouble. À titre d’exemple, le mot “autiste” sera utilisé comme synonyme de “renfermé” voire “égoïste” ; “schizophrène” utilisé pour signifier une ambivalence ; “bipolaire” en lieu et place de “soupe au lait”… Or c’est une vision réductrice reposant essentiellement sur des stéréotypes qui nient le caractère complexe, multiforme d’un trouble ou un handicap mais également singulier d’un individu à un autre.
Et si on est tenté d’invoquer l’humour, il est bon de rappeler que l’humour n’est pas déconnecté pour autant de la réalité et des oppressions systémiques. Nous vous invitons à lire à ce sujet cet article de Denis Colombi sur le caractère politique de l’humour : http://uneheuredepeine.blogspot.com/…/lhumour-est-une…. Celui-ci rappelle que l’humour peut être un mécanisme d’exclusion sociale. C’est le même phénomène qui se produit avec les « blagues » oppressives psychophobes. Comme le remarque le philosophe Henri Bergson, quand nous rions de quelqu’un-e (et non pas avec), nous rions de ce qui nous semble inférieur, nous rions de la différence de l’autre. Et en maintenant l’autre dans la différence, on le maintient à distance. L’humour, comme les insultes, et les mots en général, ont un impact. Les mots sont importants comme le rappelle le collectif du même nom (https://lmsi.net/?page=presentation).
L’impact d’un mot est bien plus grand que ce que l’on s’imagine car il est quasiment invisible, et il peut cacher en son sein de la violence symbolique. L’humour qui vise les minorités permet encore de diffuser des stéréotypes, et ainsi de maintenir une hiérarchie sociale bien établie car sournoise du fait de l’apparente légèreté. Quand une blague oppressive est faite en face d’une personne concernée non-out (non déclarée vis à vis de son oppression systémique) par exemple, cela est extrêmement violent car cela n’incite absolument pas à se sentir en confiance pour en parler. Si ce que je suis est moqué et tourné en ridicule, comment suis-je censé me sentir à l’aise pour être moi-même et parler de mes difficultés ? L’échange et la communication sont pourtant essentiels pour permettre à une personne handicapée psychique de poser ses limites et ses besoins. Cela aboutit sur le long terme au repli, voire à l’isolement social, car ce que nous sommes est moquable, insultable, méprisable.
Derrière la légèreté de l’humour se cache de potentielles conséquences dévastatrices. Ainsi, comme l’explique le chercheur Thomas Ford : « L’humour sexiste n’est pas un amusement bénin. Il peut affecter la perception qu’ont les [êtres humains] de leur environnement social et leur permet de se sentir à l’aise avec des comportements sexistes, sans avoir peur de la désapprobation de leurs pairs ». Cela fonctionne pour le sexisme comme pour toutes les autres oppressions systémiques. L’humour psychophobe permet de perpétuer la psychophobie, car au-delà du second degré se cache une vision dépréciative du handicap psychique avec pour message qu’une personne handicapée psychique ne mérite pas le respect, et donc potentiellement de l’aide.
Il est en tout cas nécessaire d’amener une remise en question vis-à-vis de l’humour oppressif. Au sein du collectif POS, pourtant, nous ne sommes pas des ennemi-es de l’humour et nous avons à cœur de pouvoir rire et de nous amuser. Alors au lieu de rire de personnes déjà marginalisées, nous rions de celles qui marginalisent (nous vous invitons chaleureusement à vous moquer sans limite des normopathes inaptes à l’improductivité libératrice !). Au sein du collectif POS, nous préférons essayer cette tactique plutôt que de continuer à rire et/ou insulter des personnes qui luttent déjà bien assez au quotidien. Et de ce fait, nous nous demandons si, au lieu de continuer à véhiculer des stéréotypes en vidant les mots de leur sens, on ne s’attacherait pas plutôt à employer les mots justes afin de faciliter, ne serait-ce qu’un minima, la vie de chacun-e ? Nos existences, nos conditions, nos spécificités, nos traits de personnalité ne sont ni des insultes ni des blagues, c’est ce que nous vivons au quotidien.
Et si l’on veut déconstruire notre société, c’est aussi par la déconstruction de nous-mêmes, et de nos propres biais psychophobes, qu’il faut passer. Les insultes psychophobes, ainsi que l’humour psychophobe, ne sont pas anodines. Cela a un impact sur les personnes concernées car les insultes et cet humour impactent directement l’estime de soi des personnes handicapées psychiques du fait de baigner dans un climat général qui utilise ce qu’elles sont comme une insulte. De même qu’il est important de préciser que cela participe par la même occasion au retard de diagnostic et à la difficulté de dire que l’on est « atteint-e » de X trouble ou handicap. Eh oui, qui aurait envie d’être vu comme fol, après tout, lorsque la majorité du temps ce mot sert d’insulte ?